Avant-propos
Le
9 novembre dernier, avait lieu Focus stratégique Québec 2010,
événement organisé par SECOR, un ancien employeur de Raymond
Bachand. La firme dévouée à aider les investisseurs à percer de
nouveaux marchés offrait en « priorité nationale »
celui de l'éducation au Québec.
C'est
dans ce contexte, que dans un exercice de propagande auprès des gens
d'affaires et aux citoyens, Jean Charest a déclaré au sujet du
décrochage scolaire que le gouvernement faisait les investissements
suffisants, faisait bien son boulot et tralala, et qu'il fallait
plutôt regarder du côté des parents qui ne s'intéressent pas
assez à l'éducation de leurs enfants :
http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201011/09/01-4340901-decrochage-scolaire-charest-montre-du-doigt-les-parents.php
Lettre
d'un boeuf à une grenouille
À
Gustav, un élève de secondaire 2 au programme international de son
école et qui s'est enlevé la vie vendredi dernier. Tout un
décrochage scolaire!
Montréal,
le 30 novembre 2010
Chère
grenouille,
Tu m'as encore donné un coup de fouet. Ça
m'a fait bondir et j'ai failli m'étaler sous le poids de ma charge.
C'est la fois de trop, Jean.
Certains
peuvent penser que tu débloques en rejetant la faute du décrochage
scolaire sur l'ensemble des parents. Toi et moi, on sait que ce n'est
pas le cas. On sait que c'est du cynisme exalté. Mais, peut-être ne
le réalises-tu pas après tout.
Plus
certainement, contemples-tu l'abrutissement de toute une population,
qu'après tente ans de grenouillages de gouvernements successifs, tu
crois avoir achevé. Victoire! te dis-tu.
Oh,
petite grenouille. Attention, tu n'es pas un wawaron.
Aujourd'hui,
tu as sorti un bon pan de la population de sa torpeur. À tout le
moins, ceux et celles ayant engendré et sûrement beaucoup plus. Un
coup de fouet, je te dis.
C'est
avec stupeur, que même les plus sceptiques ont finalement appris le
dégoût qu'on t'inspire, ceux d'entre nous qui avons ou avons eu des
enfants d'âge scolaire. Ils l'ont saisi, noir sur blanc dans ton
adresse à ce que tu considères, comme les vraies personnes, celles
dites "morales". Des illusions incapables de procréer,
mais ayant tout de même suffisamment de puissance pour te faire
élire.
Ces
"personnes" à qui tu fais cadeau du bien commun pour des
faveurs, en retour de faveurs, pour des faveurs, en retour de
faveurs... Nous croyant trop abrutis pour nous rendre compte. Tu as
accéléré un cycle, le tien et celui de tes "amis" et
semblables. Tu en précipites la fin. Tu n'es pas le premier à faire
cette erreur, Jean. Cela fait partie de ce cycle. Dans ton état, tu
ne pouvais l'éviter.
Tu
t'es convaincu de n'avoir rien à craindre des personnes, celles que
tu déconsidères, je veux dire.
C'est
un conte de victoire illusoire que tu te chantes.
Ces
parents dont tu as abusé et dont tu t'imagines qu'ils ont, à bout
de souffle, définitivement lâché prise devant la ruine fumante
qu'est de venue l'éducation publique. Brisée par la gouvernance de
tes prédécesseurs et pratiquement achevée par le coup de grâce
asséné par la tienne. Mais tu te trompes un tantinet.
En
t'adressant à ton public, tu te crois détenteur du droit de nous
insulter, multitude de parents embourbés, que nous sommes, dans le
désastre que tu nommes système d'éducation. Tu t'en permets, car
tu nous regardes de haut, mais les grenouilles n'ont pas d'ailes,
Jean. Ce qui n'empêche pas qu'il puisse en pleuvoir à l'occasion.
Je te l'accorde. Mais réalises-tu que cela signifie qu'une méchante
tornade est passée par là et que c'est exactement après cela que
tu cours. Ou sautes, c'est selon. Reste là-haut et tu verras.
Tu
nous vois harnachés, à tenter encore et encore de protéger notre
progéniture de l'ignorance qu'a implantée trente ans de succession
de ministres. Tu nous sais vidés à force de vains efforts.
Cet
épuisement, nous le partageons avec le personnel des écoles, que tu
as soumis à des conditions tellement misérables qu'elles en sont
dégradantes. Mais qui malgré cela, fait généralement de son mieux
avec les moyens qui lui reste. On appelle ça du missionnariat.
Cette
servitude infligée a un prix et plusieurs craquent. Souvent, avant
qu'on réalise et s'oblige un repos en raison de maladie, une
troisième génération de jeunes adolescents, en plein passage de
l'âge d'éponge à celui de la lucidité, la jette la foutue éponge.
Ces
jeunes déguerpissent de ton taudis et apportent pour bagage, le peu
de rationnel qu'ils y ont acquis. Même les plus fragiles y arrivent.
"No future man, passe-moi la corde." Qu'ils te disent. Et
devant l'évidence, ils ajoutent "Pis pète-moi pas dans face,
man! "
La
prétention dont on peut s'enfler quand on a toutes ces personnes
morales pour nous épauler. T'aurais dû réfléchir, Jean!
Tu
nous envoies valser. Tu aurais dû être plus prudent, Jean. Dans ces
conditions, la grenouille finit toujours par éclater. Elle ne peut y
échapper.
A
mess for big business, John.
Je
te propose une expérience toute simple. Lorsque tu lis tes textes
arrogants et pleins d'insultes en discourant, cesse un moment de
suivre le défilé odieux des lettres et regarde ce qui soudain
apparaît...
Ton
reflet! Ça déconcentre, hein? Tu peux continuer maintenant.
Cette
image ne t'a pas menti sur ta personne. Tu devrais finir par
ressentir un choc, comme tout être digne d'humanité qui serait dans
ta position aurait à encaisser. Tu ne peux pas encore en jauger son
potentiel de frappe. Il y en a pourtant là, autant que dans ce que
tu postillonnes, sans te rendre compte, sur ton image en
surimpression de la bouillie toxique, que tu sers à chacun de tes
discours.
Peut-être
as-tu tout de même ressenti un petit pincement. Dans un flashback, y aurais-tu entrevu l'enfant que tu as déjà été? Celui avec son
rêve disjoncté de devenir premier ministre du Canada. Comme c'était
sinistre. Tu aurais dû le réaliser en grandissant. C'est ça
devenir rationnel.
Comprendre
que devenir premier ministre n'a jamais fait partie d'un choix de
carrière dans une démocratie. Tu ne t'es jamais attardé à ça, la
démocratie. Tu te voyais empereur. Tu te percevais comme un
visionnaire, mais tu n'étais et n'es toujours qu'un aveugle aveuglé
par le clinquant du pouvoir.
Le
choc ne devrait pas tarder. C'est pour bientôt, petite grenouille
parmi les bovins. Dès que tu auras fait ton dernier pet pestilentiel
à l'Assemblée nationale. Ton reflet décrépi, que tu as déjà mis
à la corbeille, reviendra te hanter, probablement jusqu'à la fin
lamentable que tu pourrais commencer à entrevoir à partir de ta
sortie du pouvoir.
En
détresse, tu chercheras sûrement un thérapeute. Des compétents?
Il n'y en aura pas de disponibles, Jean. Ça prend un parent pour ça
et tu nous as laissés avec un trop gros fardeau. Attelés à la
tâche, nous n'aurons pas de temps à perdre en nous attardant au
sort de reste irrécupérable d'un batracien.
Mais
il existe peut-être une solution. Une réflexion rationnelle et
salvatrice. Tu pourrais tenter de retrouver ton identité.
Celle
que tu t'es acharné à voiler et enfouir depuis que tu as quitté
l'école privée.
Tu
pourrais t'y réfugier, John the conservative. Personne ne pensera à
aller t'y débusquer.
Et
tu devras pourtant bien te rendre à l'évidence que les personnes
morales n'ont pas de morale. Elles sont un non-sens. Ce ne sont pas
des personnes, que des illusions passagères. Prends un recul et
regarde la dernière décennie. Pardon, c'est sûrement trop tôt.
Laisse d'abord passer le choc. Mais sache que par définition, une
illusion ne peut pas avoir de sentiments tels que l'amitié et la
compassion.
It's
just fog, John. Just like the one you become when you fall in the
hole of History. But this one you could feel it for real, if you
still not growing up.
Et
ne me regarde pas avec cet air. Moi aussi, je sais faire les gros
yeux.
Beef
up, John and good riddance.
Mario
Dufour