mardi, novembre 30, 2010

LETTRE D'UN BOEUF À UNE GRENOUILLE


Avant-propos

Le 9 novembre dernier, avait lieu Focus stratégique Québec 2010, événement organisé par SECOR, un ancien employeur de Raymond Bachand. La firme dévouée à aider les investisseurs à percer de nouveaux marchés offrait en « priorité nationale » celui de l'éducation au Québec.

C'est dans ce contexte, que dans un exercice de propagande auprès des gens d'affaires et aux citoyens, Jean Charest a déclaré au sujet du décrochage scolaire que le gouvernement faisait les investissements suffisants, faisait bien son boulot et tralala, et qu'il fallait plutôt regarder du côté des parents qui ne s'intéressent pas assez à l'éducation de leurs enfants : http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201011/09/01-4340901-decrochage-scolaire-charest-montre-du-doigt-les-parents.php


Lettre d'un boeuf à une grenouille

À Gustav, un élève de secondaire 2 au programme international de son école et qui s'est enlevé la vie vendredi dernier. Tout un décrochage scolaire!

Montréal, le 30 novembre 2010
Chère grenouille,
Tu m'as encore donné un coup de fouet. Ça m'a fait bondir et j'ai failli m'étaler sous le poids de ma charge. C'est la fois de trop, Jean.

Certains peuvent penser que tu débloques en rejetant la faute du décrochage scolaire sur l'ensemble des parents. Toi et moi, on sait que ce n'est pas le cas. On sait que c'est du cynisme exalté. Mais, peut-être ne le réalises-tu pas après tout.

Plus certainement, contemples-tu l'abrutissement de toute une population, qu'après tente ans de grenouillages de gouvernements successifs, tu crois avoir achevé. Victoire! te dis-tu.

Oh, petite grenouille. Attention, tu n'es pas un wawaron.

Aujourd'hui, tu as sorti un bon pan de la population de sa torpeur. À tout le moins, ceux et celles ayant engendré et sûrement beaucoup plus. Un coup de fouet, je te dis.

C'est avec stupeur, que même les plus sceptiques ont finalement appris le dégoût qu'on t'inspire, ceux d'entre nous qui avons ou avons eu des enfants d'âge scolaire. Ils l'ont saisi, noir sur blanc dans ton adresse à ce que tu considères, comme les vraies personnes, celles dites "morales". Des illusions incapables de procréer, mais ayant tout de même suffisamment de puissance pour te faire élire.

Ces "personnes" à qui tu fais cadeau du bien commun pour des faveurs, en retour de faveurs, pour des faveurs, en retour de faveurs... Nous croyant trop abrutis pour nous rendre compte. Tu as accéléré un cycle, le tien et celui de tes "amis" et semblables. Tu en précipites la fin. Tu n'es pas le premier à faire cette erreur, Jean. Cela fait partie de ce cycle. Dans ton état, tu ne pouvais l'éviter.

Tu t'es convaincu de n'avoir rien à craindre des personnes, celles que tu déconsidères, je veux dire.

C'est un conte de victoire illusoire que tu te chantes.

Ces parents dont tu as abusé et dont tu t'imagines qu'ils ont, à bout de souffle, définitivement lâché prise devant la ruine fumante qu'est de venue l'éducation publique. Brisée par la gouvernance de tes prédécesseurs et pratiquement achevée par le coup de grâce asséné par la tienne. Mais tu te trompes un tantinet.

En t'adressant à ton public, tu te crois détenteur du droit de nous insulter, multitude de parents embourbés, que nous sommes, dans le désastre que tu nommes système d'éducation. Tu t'en permets, car tu nous regardes de haut, mais les grenouilles n'ont pas d'ailes, Jean. Ce qui n'empêche pas qu'il puisse en pleuvoir à l'occasion. Je te l'accorde. Mais réalises-tu que cela signifie qu'une méchante tornade est passée par là et que c'est exactement après cela que tu cours. Ou sautes, c'est selon. Reste là-haut et tu verras.

Tu nous vois harnachés, à tenter encore et encore de protéger notre progéniture de l'ignorance qu'a implantée trente ans de succession de ministres. Tu nous sais vidés à force de vains efforts.

Cet épuisement, nous le partageons avec le personnel des écoles, que tu as soumis à des conditions tellement misérables qu'elles en sont dégradantes. Mais qui malgré cela, fait généralement de son mieux avec les moyens qui lui reste. On appelle ça du missionnariat.

Cette servitude infligée a un prix et plusieurs craquent. Souvent, avant qu'on réalise et s'oblige un repos en raison de maladie, une troisième génération de jeunes adolescents, en plein passage de l'âge d'éponge à celui de la lucidité, la jette la foutue éponge.

Ces jeunes déguerpissent de ton taudis et apportent pour bagage, le peu de rationnel qu'ils y ont acquis. Même les plus fragiles y arrivent. "No future man, passe-moi la corde." Qu'ils te disent. Et devant l'évidence, ils ajoutent "Pis pète-moi pas dans face, man! "

La prétention dont on peut s'enfler quand on a toutes ces personnes morales pour nous épauler. T'aurais dû réfléchir, Jean!

Tu nous envoies valser. Tu aurais dû être plus prudent, Jean. Dans ces conditions, la grenouille finit toujours par éclater. Elle ne peut y échapper.

A mess for big business, John.

Je te propose une expérience toute simple. Lorsque tu lis tes textes arrogants et pleins d'insultes en discourant, cesse un moment de suivre le défilé odieux des lettres et regarde ce qui soudain apparaît...

Ton reflet! Ça déconcentre, hein? Tu peux continuer maintenant.

Cette image ne t'a pas menti sur ta personne. Tu devrais finir par ressentir un choc, comme tout être digne d'humanité qui serait dans ta position aurait à encaisser. Tu ne peux pas encore en jauger son potentiel de frappe. Il y en a pourtant là, autant que dans ce que tu postillonnes, sans te rendre compte, sur ton image en surimpression de la bouillie toxique, que tu sers à chacun de tes discours.

Peut-être as-tu tout de même ressenti un petit pincement. Dans un flashback, y aurais-tu entrevu l'enfant que tu as déjà été? Celui avec son rêve disjoncté de devenir premier ministre du Canada. Comme c'était sinistre. Tu aurais dû le réaliser en grandissant. C'est ça devenir rationnel.

Comprendre que devenir premier ministre n'a jamais fait partie d'un choix de carrière dans une démocratie. Tu ne t'es jamais attardé à ça, la démocratie. Tu te voyais empereur. Tu te percevais comme un visionnaire, mais tu n'étais et n'es toujours qu'un aveugle aveuglé par le clinquant du pouvoir.

Le choc ne devrait pas tarder. C'est pour bientôt, petite grenouille parmi les bovins. Dès que tu auras fait ton dernier pet pestilentiel à l'Assemblée nationale. Ton reflet décrépi, que tu as déjà mis à la corbeille, reviendra te hanter, probablement jusqu'à la fin lamentable que tu pourrais commencer à entrevoir à partir de ta sortie du pouvoir.

En détresse, tu chercheras sûrement un thérapeute. Des compétents? Il n'y en aura pas de disponibles, Jean. Ça prend un parent pour ça et tu nous as laissés avec un trop gros fardeau. Attelés à la tâche, nous n'aurons pas de temps à perdre en nous attardant au sort de reste irrécupérable d'un batracien.

Mais il existe peut-être une solution. Une réflexion rationnelle et salvatrice. Tu pourrais tenter de retrouver ton identité.

Celle que tu t'es acharné à voiler et enfouir depuis que tu as quitté l'école privée.

Tu pourrais t'y réfugier, John the conservative. Personne ne pensera à aller t'y débusquer.

Et tu devras pourtant bien te rendre à l'évidence que les personnes morales n'ont pas de morale. Elles sont un non-sens. Ce ne sont pas des personnes, que des illusions passagères. Prends un recul et regarde la dernière décennie. Pardon, c'est sûrement trop tôt. Laisse d'abord passer le choc. Mais sache que par définition, une illusion ne peut pas avoir de sentiments tels que l'amitié et la compassion.

It's just fog, John. Just like the one you become when you fall in the hole of History. But this one you could feel it for real, if you still not growing up.

Et ne me regarde pas avec cet air. Moi aussi, je sais faire les gros yeux.

Beef up, John and good riddance.

Mario Dufour